"Les collaborateurs parlementaires ne sont pas porteurs du mandat de leur employeur"
Okan Germiyanoglu, docteur et enseignant en science politique, collaborateur parlementaire de Jacques Marilossian, a réagi à la tribune publiée la semaine dernière. Voici son argumentation.
Dans sa dernière chronique dans Entourages, Mahaut Chaudouët Delmas tente un croisement entre la vie démocratique et ses élections qui la rythment, et le sort des collaborateurs parlementaires.
Collaborateur parlementaire depuis plus de 7 ans à ce jour, je relève plusieurs éléments qui me semblent contestables dans son affirmation suivante :
"Le renouvellement des collaborateurs est pourtant nécessaire pour la santé démocratique. En restant collaborateur toute sa vie, sans respiration, on risque aussi d’être moins compétent, moins alerte aux bruits du monde qu’on nous demande de capter. La politique, ça n’est pas tant un métier qu’une mission, exactement comme c’est le cas pour un élu : il faut toujours essayer de confronter notre expérience politique à la vie non politique, garder cette dichotomie. C’est une condition pour que ce qu’on fait en politique soit toujours sourcé, trouve son appui dans la vie réelle, la vie des gens."
Cette affirmation appelle de ma part plusieurs éléments de réponse :
1. Les collaborateurs parlementaires ne sont pas élus avec le parlementaire. Ils ne sont pas porteurs du mandat de leur employeur et n'ont donc pas de compte à rendre à la vie démocratique. Malgré cela, leurs noms et le détail de leurs missions sont consultables sur le site de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP).
Les collaborateurs parlementaires n'existaient même pas avant la loi sur la confiance dans la vie politique de 2017, leur reconnaissance par le législateur n'a pu se faire qu'à partir de ce moment-là. Je dirai donc qu’avant de rendre des comptes dans une « respiration démocratique », les collaborateurs parlementaires ont avant tout besoin de reconnaissance et de sécurisation de leur métier ;
2. Le renouvellement des collaborateurs ne se fait pas à la fin d'une mandature mais tout le long de celle-ci. C'est un métier où le turn-over y est très important : souvent, une/un jeune qui commence comme collaboratrice/collaborateur y restera souvent deux ans (globalement) pour se former à un métier qui demande beaucoup de polyvalence et de technicité à la fois pour ensuite rejoindre un poste ou faire un concours dans un autre secteur. "La respiration démocratique" n'a strictement rien à voir avec ce renouvellement dû à la spécificité de ce métier.
3. Les collaborateurs parlementaires novices ont toujours besoin d'être aidés et guidés dans ce métier par des collègues plus expérimentés (et pas forcément plus âgés) que ce soit par l'entraide entre collègues ou collective via les associations et les syndicats de collaborateurs. Si nous devions appliquer la "respiration démocratique" aux collaborateurs parlementaires au rythme des élections, on perdrait le savoir-faire, les connaissances et la bienveillance des collaborateurs expérimentés.
Je pourrais encore décrire les conditions de travail perfectibles des collaborateurs parlementaires. Nombre de ceux qui liront cette chronique comprendront à quoi je fais référence.
Croiser ainsi la "respiration démocratique" avec le devenir des collaborateurs parlementaires, voire de l’ensemble des collaborateurs politiques ne me semble donc pas justifié.
C'est un métier, non un mandat ni une mission. Ils sont rémunérés et non indemnisés comme leurs élus-employeurs. Et bien qu’ils soient rémunérés sur des deniers publics, les collaborateurs politiques ne sont pas des fonctionnaires.
Le métier reste en soi précaire, même en CDI.Les collaborateurs politiques vont et viennent au gré de la vie politique, mais aussi des aléas de la vie en général. Quitte à me répéter, ils ont avant tout besoin de reconnaissance et de sécurité dans leur métier. Au législateur (justement) de s’y employer.
Okan Germiyanoglu, Docteur et enseignant en science politique
Chercheur associé au CERAPS (Université de Lille)
Collaborateur parlementaire de Jacques Marilossian, député des Hauts-de-Seine.
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