Entourages n°13 : Julia Mouzon (Elues Locales) dénonce une "violence sous-jacente" - les femmes Dircabs face au comportements sexistes - lutte anti-harcèlement dans les institutions - nominations
La lettre des métiers politiques - vendredi 3 décembre 2021 - n°13
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Vie politique
«Les femmes vivent des situations de violence sous-jacente qui les découragent »
Julia Mouzon a fondé Elues Locales, une société d’entreprenariat social dédiée à la place des femmes en politique. Difficultés rencontrées dans les évolutions de carrière, harcèlement, pressions psychologiques : elle décrit un quotidien pesant pour les femmes élues et collaboratrices politiques.
-Quelle est la proportion de femmes dans le personnel politique français ?
Le premier chiffre qui me vient à l'esprit est 30%. Il correspond à la place des femmes dans la catégorie A de la fonction publique territoriale. C'est aussi le pourcentage de femmes adhérentes dans les partis politiques. Nous avons une action centrée sur les femmes élues locales, qui sont environ 200000 en France. Il y a beaucoup de femmes en politique en France grâce aux lois sur la parité. Mais ces femmes sont entrées dans les institutions très lentement à partir du milieu du vingtième siècle, puis une accélération dans les vingt dernières années. Donc elles découvrent un ensemble de codes, qui déjà ne sont pas faits pour des personnes actives, des personnes qui ont des enfants et doivent s'en occuper de 18h à 20h, qui est l'heure aussi du conseil municipal.
Dans un précédent interview, Ludivine Vanthournout (présidente de l’association de directeurs de cabinet Dextera) évoquait des femmes plus nombreuses que les hommes à quitter le métier. Faites-vous le même constat ?
On assiste à des démissions de femmes conseillères municipales, des femmes élues qui me disent "Cinq fois, dix fois durant mon mandat j'ai voulu démissionner, et mon conjoint, mes amis, mon entourage politique m'a incité à rester”. Nous constatons qu'il y a encore beaucoup de réflexions sexistes, voire de faits plus graves dans la vie politique. Il y a une espèce de violence sous-jacente qui décourage et démobilise les femmes à s'impliquer ou à rester dans ces environnements. Une violence physique, verbale, d'interpellations, psychologique, pour vous faire douter en permanence. Souvent les femmes ont plus à cœur de résoudre les problèmes, de faire attention aux autres : cette charge émotionnelle est très pesante dans les situations de conflits.
A l'époque du MeTooPolitique, la difficulté à témoigner est-elle toujours un frein ?
C'est particulièrement vrai pour les femmes qui s'impliquent dans la vie politique, qui est une vie très exposée médiatiquement. Elles n’ont pas envie du tout d'être enfermée dans un label de victime, étiquetée, par crainte de ne pas pouvoir en sortir. Les personnes harcelées ont souvent très peur de rendre publique leur situation, par crainte de voir leur carrière se terminer ; rappelons que 90% des victimes de violences sexuelles ne portent pas plainte, dans l'ensemble de la population. A l'inverse, celles qui l'ont fait, comme Sandrine Rousseau, ont fait preuve d'un courage qu'il faut saluer parce que cela reste des exceptions.
Quelles actions menez-vous avec Elues Locales pour répondre à ces situations ?
Notre premier acte est de donner des outils pour réagir dans ces situations, pour répondre, agir, mobiliser, être plus à l'aise dans l'exercice du mandat, gagner en leadership, en assurance, et en sentiment de légitimité. Parce qu'en général la légitimité est là, mais pas le sentiment de légitimité.
Notre objectif est de leur donner des opportunités d'échanger sur toutes ces situations qu'elles vivent souvent comme des situations de différence, qui les amènent à se remettre en question, à remettre en question leur engagement politique : on a le sentiment que les femmes en politiques vont faire moins de mandats, là où des hommes politiques font trois, quatre, cinq mandats parce qu'ils sont là, installés, ils acquiert une expérience, une forme de légitimité politique que les femmes doivent redécouvrir plus régulièrement. Nous ne sommes pas sur un combat juridique, mais sur un combat culturel et pédagogique pour montrer une exemplarité. Il faut que les femmes et hommes qui s'engagent en politique puissent évoluer dans un milieu respectueux et sain.
Propos recueillis par Fabrice Pozzoli-Montenay
La 10e journée nationale des femmes élues se tient vendredi 3 décembre.
https://www.elueslocales.fr/journees-nationales-femmes-elues/
A cette occasion, une étude menée auprès de 2000 représentantes politiques sur les violences sexistes qu’elles ont subies dans l’exercice de leur mandat sera diffusée.
Témoignages
“Toutes les directrices de cabinet ont connu des situations difficiles”
Entourages a recueilli la parole de directrices de cabinet en collectivités locales, à travers la France. Certaines ne veulent pas que leur nom soit mentionné, mais souhaitent partager leur expérience.
Yasmine Mecibah, directrice de cabinet à Saint-Genis-Pouilly (Ain)
”Toutes les directrices de cabinet que je connais se sont prises des réflexions, des remarques sur leur tenue, leurs formes, des allusions sexuelles, des propositions… c’est malheureusement le quotidien de nombreuses femmes, et pas seulement en politique.”
”On nous prend souvent pour la secrétaire. Cela n’arrive jamais à nos collègues hommes !”
”Une directrice de cabinet qui part en congés maternité ne peut pas être remplacée par un recrutement temporaire, les règles de fonctionnement des cabinets fixant un seuil maximum de collaborateurs”.
Lina Jali, directrice de cabinet de Villeparisis (Seine et Marne)
”Dans les débats, il y a une forme d’échelle de gravité qui est assez surprenante : les agressions sexuelles semblent moins graves que la fraude fiscale. Est-ce qu’on prend le sujet au sérieux ou pas ?”
”Il ne s’agit pas de transiger avec la présomption d’innocence, mais dès lors qu’un élu est condamné, la question ne se pose plus : il ne devrait plus pouvoir exercer son mandat.”
”Il est important que des hommes sensibilisent d’autres hommes ; on organise des formations internes dans la mairie ; et il y a toujours cette question qui surgit : est-ce qu’on en a besoin ?”
”Le rôle de l’institution est central : qu’elle joue son rôle, mette en place des moyens, des garde-fous qui empêchent ce type d’actes. Laisser passer, minimiser, est la pire réponse possible. L’institution doit protéger avant tout les victimes, et rendre la justice”.
Des directrices de cabinet qui ont choisi de rester anonymes :
”J’ai préféré démissionner de la collectivité où je travaillais, l’ambiance quotidienne n’était pas vivable pour une jeune directrice de cabinet”.
“Quand j’ai souhaité alerter sur des faits, il y a eu un front contre moi, des courriers et des attestations sont apparus pour me faire taire. Quand vous décidez de dénoncer, c’est effrayant, surréaliste de violence.”
”Ma plus mauvaise surprise a été mes échanges avec le responsable des services techniques : il estimait qu’une femme ne pouvait pas lui dire ce qu’il fallait faire.”
“Dès que j’ai tenté de parler des comportements sexistes, on m’a traité de féministe hystérique”.
”Oui, l’ambiance est dure dans un cabinet, je dois prouver chaque jour que je suis légitime, en serrant les dents parce que les remarques sexistes, seules les femmes les subissent. Mais je crois que c’est pareil dans tous les postes de pouvoir”.
”Le respect de l’égalité homme-femme n’est pas lié à l’appartenance politique, mais aux personnalités de l’élu(e) et de son équipe.”
Recueillis par Fabrice Pozzoli-Montenay
Assemblée Nationale
Fin du collectif “Chair Collaboratrice”
Ce groupe de collaboratrices parlementaires avait dénoncé à de nombreuses reprises des comportements sexistes d’élus. Après cinq années, elles ont décidé de dissoudre leur collectif : “cet engagement était bénévole. Militant. il doit être remplacé par une place plus importante donnée aux syndicats qui font un travail important et efficace. Il doit être remplacé par la mise en place d’une vraie cellule de veille, qui ne doit pas voir son marché renouvelé chaque année” annoncent-elles. Les syndicats et associations de collaborateurs parlementaires travaillent en effet aussi sur le harcèlement, et alertent régulièrement la déontologue et la questure sur cette question. Ainsi pour Brayen Sooranna, secrétaire de section CFDT à l’Assemblée Nationale, “il faut qu’un élu condamné pour harcèlement ne soit plus éligible”.
Institutions
Quel bilan des dispositifs de lutte contre le harcèlement ?
Juliette Clavière (directrice de l’Observatoire Égalité femmes-hommes de la Fondation Jean-Jaurès) et Emmanuelle Le Texier (cheffe du personnel au sein du groupe S&D au Parlement européen) viennent de publier une bilan des dispositifs mis en place au sein du Parlement européen, du Sénat et de l’Assemblée nationale pour lutter contre le harcèlement sexuel au travail.
Elles relèvent que le Parlement européen a été “pionnier en la matière” en ayant mis en place dès 2014, “une réponse institutionnelle relativement complète au phénomène du harcèlement moral et sexuel. Le dispositif retenu se fonde essentiellement sur une structure spécifique : le comité consultatif sur le harcèlement (moral et sexuel) et sa prévention sur le lieu de travail. Outre sa mission de prévention, ce comité traite les plaintes opposant les assistants parlementaires et les députés au Parlement européen”.
Au Sénat, “la cellule est avant tout une structure d’écoute et d’orientation. Elle ne traite que des cas concernant les collaboratrices et collaborateurs des parlementaires (…) dont 50% sont localisés en circonscription, ce qui représente une difficulté particulière en matière d’accessibilité au dispositif. Elle n’a pas de fonction d’instruction des plaintes. Le dispositif prévoit cependant, en accord avec la victime, la possibilité de la transmission d’« une évaluation collégiale de la situation » au président du Sénat.”
Pour l’Assemblée nationale, le jugement est plus sévère. La mise en place de la cellule anti-harcèlement en 2020 a marqué une évolution, mais le dispositif retenu soulève des inquiétudes, selon les auteurs. Disproportion des moyens retenus, absence totale de représentant des différents publics concernés au sein de cette cellule, manque de critères clairs de saisine, “le système ne définit pas clairement qui aurait en charge une véritable instruction des cas”.
Le rapport complet :
https://www.jean-jaures.org/publication/harcelement-sexuel-dans-les-assemblees-parlementaires-une-lutte-a-geometrie-variable/
Au Parlement européen, 284 collaboratrices et collaborateurs appellent les eurodéputés à adopter la résolution anti-harcèlement qui leur sera présentée le 13 décembre. Le texte prévoit notamment une formation obligatoire pour les élu(e)s et un audit indépendant.
Nominations
Collectivités
Antoine Loisel, collaborateur de cabinet, a été promu chef de cabinet du maire de Meaux (77), Jean-François Copé (LR).
Gweltas Morice, attaché de presse au conseil départemental de Loire-Atlantique, est promu adjoint au directeur de cabinet du président, Michel Ménard (PS), en remplacement de Julien Coué.
Rodolphe Teyssier est nommé directeur de cabinet du président de la communauté de communes du Pays de Sommières (30), Pierre Martinez (SE).
Mickaël Fairand est nommé directeur de la communication, collaborateur de cabinet, du maire d’Orvault (44), Jean-Sébastien Guitton (DVG)
Mawubedjro David Reinhardt est nommé chef de cabinet, directeur de la communication et de la culture, de la maire de Prévessin-Moëns (01), Aurélie Charillon Godard (DVD).
Ruben Hechler a été nommé collaborateur politique du groupe de la majorité régional du conseil régional de la Région Grand Est.
Anne-Flore Buisson-Bloche a été nommée conseillère discours de la maire de Rennes et présidente de la Métropole, Nathalie Appéré (PS). Elle était collaboratrice du groupe socialiste, démocrate et citoyen au conseil municipal depuis 2020.
Politique
Marc Suivre, chargé de mission auprès du président depuis septembre, est promu directeur de cabinet du président de l’Assemblée des départements de France, François Sauvadet (UDI). Il était son directeur de cabinet au conseil départemental de la Côte-d’Or depuis janvier.
Arthur Nowicki, conseiller au pôle politique d’En Marche ! depuis 2019, est nommé conseiller auprès de la déléguée générale adjointe en charge des élections et de la structuration territoriale, la députée de l’Essonne, Marie Guevenoux.
Mathilde Laurent a été promue secrétaire générale du groupe écologiste du Sénat dont elle était secrétaire générale adjointe depuis décembre 2020.
Camille Duchiron, cheffe de cabinet du groupe Écologiste Solidarité au Sénat depuis 2020, est nommée attachée de presse de la campagne présidentielle de Yannick Jadot.
Gouvernement
Sandrine Mendes Borges est nommée chargée de mission presse et communication au cabinet de la ministre déléguée chargée de l’égalité femmes/hommes, de la diversité et de l’égalité des chances, Élisabeth Moreno.
Marketa Pospechova, responsable veille, déplacements, relations presse, coordination des fonctions support, est promue cheffe de cabinet adjointe au cabinet du ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de l’attractivité, Franck Riester.
Pierre de Bousquet de Florian, directeur du cabinet du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, quittera le cabinet le 13 janvier 2022 (retraite).